Mauvaise humeur

Les crocs niquent, rubrique mordante : MAIRIE : GAULONS UN PEU !

Le 1 avril 1999

Le service des sports nous l'a clamé en grand format pendant quelques mois, "Cet hiver, à Toulouse, la mode est au patin." Tant pis pour ceux qui n'en auront pas roulé et profité alors, le printemps est déjà là. Les jours rallongent sur la Garonne, et les bourgeois sur les berges bourgeonnent, les étudiants reprennent possession des rares espaces provisoirement (et sans doute par erreur) inaccessibles aux bagnoles, les peaux se montrent et foncent sous les panneaux d'interdiction de stationner, et les sangsues niquent. Mais pas question de nous échauffer et d'aller plus loin que le patin suscité, car la Mairie est là pour nous éviter la débauche et le stupre.
En effet, face aux envies printanières qui nous habitent, le service social chargé de la prévention riposte par l'affichage intensif d'un petit bijou de faux-culterie cul- béniteuse et ordre moralesque, que je m'en vais vous décrire illico, au cas où vous auriez échappé au matraquage. Le message comporte deux parties : D'abord, une pomme verte sur fond rouge avec le commentaire "Tenté ?", ensuite une capote rose sur fond vert agrémentée d'un satisfait "Protégé!" en guise d'Eurêka. Certes, les occasions de remarquer que le cerveau de nos édiles croupit dans une eau bénite stagnante ne manquent pas, mais que ces têtards de sacristie puissent étaler aussi ouvertement leur discours normatif gluant de jugement moral sans que surgisse l'ombre d'une protestation a de quoi laisser pan-tois. D'autant que ce n'est pas tout... En effet, nos grands communicateurs municipaux ont cru bon d'ajouter à leur oeuvre une sentence définitive et sans appel, histoire de bien enfoncer le clou. Disons publiquement à leur décharge que dans nos villes encombrées, que dis-je, envahies de mécréants, sauvageons, et autre immigrés imperméables aux références judéo-chrétiennes, il n'était pas évident que le message et les symboles passassent. La pomme (fruit du péché originel), le fond rouge (des enfers ?), le mot "tenté" (qui rappelle certains "Ne nous soumets pas à la tentation MAIS délivre nous du mal", donc quand on est tenté, c'est par quelque chose de mal), tout ça est bien beau, mais suffira-ce à frapper l'âme perdue des brebis égarées? Certes non! C'est donc comme une apothéose qu'on peut lire au bas de l'affiche (ça tombe bien, c'est en dessous de tout) : "En cas de conduite élastique, pensez au préservatif." En cas de conduite élastique ! Car chacun sait que le SIDA n'est un danger que pour les pas comme nous, une menace que pour les pédés et les drogués qui font n'importe quoi, il fallait donc rassurer les pères de familles non élastiques, voire rigides, cette affiche n'est pas pour eux, et les eunuques friqués de la morale officielle peuvent continuer tranquillement à aller aux putes pour l'hygiène et en Thaïlande pour les vacances.
Alors, on reprend. Oui, on peut aimer l'amour sans être un pervers dissolu destiné aux flammes de l'enfer. Oui, on peut aimer la vie sans se laver les mains de la mort de ceux qui l'aiment différemment. Oui, j'aime l'amour, la vie, et les garçons. Mais non, même bien informé, il ne suffit pas de dire "Protégé" avec un point d'exclamation pour que la capote ce soit facile, évident, aille de soi. Et il ne suffit surtout pas de campagnes discriminatoires, démagogiques, et réactionnaires comme celle-là pour susciter le respect et l'ouverture nécessaire à un débat fructueux sur la prévention des MST. Quand, au lieu de tentation (implicitement malsaine), on acceptera de parler de plaisir, d'amour, de désir, on aura peut-être avancé un peu, on osera peut-être parler de prise de risque avec moins de rejet ou d'incompréhension, on pourra peut-être toucher les personnes concernées, au lieu d'éveiller leur méfiance à trop vouloir rassurer ceux qui ne se sentent pas visés parce que bien pensants ou peu baisants. Car la dégueulasserie profonde est bien là : il ne s'agit pas ici de prévenir quoi que ce soit, mais visiblement de se donner bonne conscience (on fait quelque chose), en rassurant le potentiel électeur (on gère). Stratégie sans doute inutile d'ailleurs, car l'électeur modéré-catho-centre-mou ciblé ici donne sans doute depuis longtemps sa voix au maire consort (bientôt j'espère).
En guise de conclusion, je souhaite aux responsables municipaux que cette campagne leur reste dans les annales, et bien profond si possible, car s'il est trop tard pour leur élargir l'esprit, il ne faut quand même pas désespérer de tout.
Nicolas BACCHUS
Dans Colères! N°7 La Lettre d'Act Up-Toulouse / Avril 99
(voir l'affiche incriminée dans les photos, rubrique "les débuts")

 
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