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Bacchus "Oiseau libre" (interview)

MusiQualité.net - Le 14 février 2006
Drôle et caustique, ce trublion de la chanson sort son troisième album, « A table ». Ponctuant ses textes de clin d’œil à Brassens ou Brel, Nicolas Bacchus n’a pas la langue dans sa poche. Ses concerts son ponctués de sketchs drôlissimes et militants. Nous l’avons rencontré le jour de sa première au Vingtième Théâtre.
Propos recueillis par Marie Charrel

Comment es-tu tombé dans la musique ?
Enfant, on écoutait beaucoup de musique à la maison : du classique mais aussi du Brel, du Brassens, Renaud… J’ai toujours chanté avec mes frères et sœurs. Nous sommes allés au conservatoire, mon frère en batterie, ma sœur au piano, moi à la guitare. Mais après le lycée, j’ai arrêté. Je n’étais pas fait pour une formation classique. J’ai commencé à accompagner, à chanter les chansons des autres, puis les miennes, tout en tournant dans les bars de mon Auvergne natale avec mon frère. J’y ai pris goût.
Quand as-tu décidé de te consacrer uniquement à ce métier ?
Quand j'ai quitté l'Auvergne, j'étais alors éducateur spécialisé. J'aimais ce boulot, mais j'ai choisi de le lâcher pour me rapprocher de Toulouse et de la musique. C’est une ville attirante musicalement. Il y a Nougaro, le Capitole, Juliette…
J’ai commencé à jouer au marché Saint-Sernin, le dimanche matin. Chaque semaine, j’avais un petit public. Je leur revendais les disques que j’avais enregistrés et gravés la semaine. Progressivement, je suis passé aux bistrots, aux petites salles, aux festivals…
J’ai tout de suite eu un public très étudiant, ce qui a été un avantage. Beaucoup sont restés fidèles. Après leurs études, ils m’appelaient du coin de France où ils avaient atterri pour m’indiquer des salles où je pouvais jouer. J’ai donc tourné assez vite hors de Toulouse.
C’est comme ça que tu t’es retrouvé à Paris ?
Oui. J’avais enregistré à Toulouse un premier autoproduit, puis un deuxième album en public, avec six musiciens. C’est là que j’ai commencé à tourner en trio avec un violoncelle et un harmonica. Grâce à cet album, j’ai pu jouer au festival d’Avignon. Puis je suis monté à Paris, histoire de trouver un tourneur.
Les sketchs sont très présents dans tes concerts. Quand tu composes, penses-tu déjà à la mise en scène future du morceau ?
Oui, et de plus en plus ! Je dois penser dès la composition aux sketchs que j'intercale entre les morceaux, pour prévoir où m’arrêter pour les insérer. C'est d'autant plus vrai aujourd'hui, car je joue avec des musiciens en trio. Je dois aussi penser à la place que je peux leur laisser. Soit pour leur demander quelque chose de précis à ce moment-là, soit pour leur laisser libre cours… La mise en scène est d’autant plus importante.
Sur le titre « Inventaire », tu entames les paroles sur un style qui rappelle largement Brassens… Un clin d’œil ?
Plus : c’est même une parodie ! L’idée était de faire un « à la manière de », en reprenant ses tics, sa façon de chanter.
On retrouve plusieurs références à Brassens dans l’album, comme on retrouvait quelques mesures de Gainsbourg sur le précédent.
Il y a une dizaine de groupes invités sur ton disque : Debout sur le Zinc, Eric Toulis, Les Pistons flingueurs, Royal Breakfast, Mamouchka, Juliette… Ce sont des amis que tu as voulu réunir, ou les as-tu contactés spécialement pour l’album ?
Ce sont des amis. Je voulais réunir la famille musicale dans laquelle j’évolue. Je souhaitais également faire un disque très différent du précédent, en live. Il était assez uniforme car ce sont les mêmes musiciens qui jouent sur tous les titres.
Cette fois, je voulais que chaque titre ait une ambiance particulière. C’est comme ça que j’ai commencé à inviter des groupes.
J’ai composé les morceaux avec une structure simple guitare-voix, puis chaque groupe y a mis sa sauce, librement. En tout, 35 musiciens jouent sur le disque.
Sur le Petit Ane gris, tu t’en donnes à cœur joie, en imitant tes confrères de la chanson française : Hugues Auffray, Vincent Delerm, Renaud, Carla Bruni… C’est un moment fort de ta prestation sur scène !
C’est la récréation. On demande beaucoup au public en concert : de l’attention, de la concentration pour suivre les sketchs. Ce morceau leur permet... de souffler un peu.
Comment te situes-tu par rapport aux autres musiciens de la scène française ?
Je partage avec beaucoup une même conception de la musique. Une volonté d’apporter au public, une conscience de la scène. Bénabar ou Juliette, par exemple, se lâchent vraiment en concert, se donnent à 100%, font rire et joue avec public.
Tu partages avec eux une même conception généreuse de la scène, du show. Un même message également ?
Pas directement. Mes chansons ne sont pas fortement engagées politiquement, ni socialement. En revanche, sur scène, entre les morceaux, je me lâche, et n’hésite pas à dire ce qui me révolte. Je garde mes points de vue militants pour ces moments-là. C’est un point commun que j’ai par exemple, avec Bénabar.
Comment intègres-tu ces sketchs engagés à ton spectacle ? Ce sont des réactions spontanées à l’actualité ?
Non : ils sont très écrits. Je ne veux pas dire n’importe quoi. Certains, comme Higelin ou Mano Solo, se sentent libres uniquement quand ils n'ont aucune trame. Ils ont besoin d’une liberté totale. Le résultat est une spontanéité, un naturel qui est un atout. Mais le genre a ses limites. Notamment le risque de s’attaquer à un sujet sur lequel dire des conneries passe mal.
D’autres, comme moi, ont une conception plus théâtrale de la scène, et se sentent libres quand ils y ont une trame précise sur laquelle se baser. Je sais où je vais, je connais ma chute. Grâce à cela, je sais où je peux me permettre des digressions, je sais où et comment me rattraper.
Mon but n’est pas de choquer les gens. J’aimerais simplement qu’ils écoutent un petit peu plus que ce qu’ils se pensaient capables d’entendre.
Penses-tu qu’il n’y a pas de scène ni d’engagement sans autodérision ?
Je dirai qu’il n’y a surtout pas d’hétérodérision sans autodérision. J’aime que le sujet du rire tourne. Que le spectateur rigole de son voisin, puis de lui-même ou de moi sur les titres suivants. Je ris des autres alors il n’y a pas de raison que je ne me moque pas de moi-même.
Vises-tu, ou penses-tu à un public particulier quand tu écris ?
Non, je pense d’abord à faire réagir. J’aime dire ce à quoi on ne s’attend pas. Provoquer. Ce qui n'est pas si facile à gérer : quand on débute, on a vite un petit public qui connaît vos idées, qui sait ce qu’il va entendre. Dans ces conditions, changer de message est un virage délicat à prendre. Les Malpolis y sont parvenus. Leur public était habitué à leurs textes anticléricaux, de gauche. Un jour, ils se sont attaqués aux conformismes de l’anticonformisme, des fumeurs de shit par exemple. J’aime remettre en question. Le défi est de rester toujours contestataire avec un public qui se définit comme tel.
Au-delà, ce qui me plait, c’est de mélanger les publics. Écrire des chansons politiques, qui parlent d’homosexualité, ou plus axées sur l’humour et les jeux de mots, me permet de brasser des spectateurs et de les faire réfléchir sur des thèmes auxquels ils n’étaient pas sensibles. Les gens qui viennent me voir parce que je parle d’homosexualité découvre des chansons plus politiques, et le public militant découvre des chansons à texte, où les mots ont leur importance au-delà du message.
Quels sont tes projets pour les mois à venir ?
Devenir riche et célèbre et passer à la télé… Je plaisante. Je n’ai rien contre le système de consommation musicale de masse. Après tout, entendre un bon tube à la radio… dans un super marché, ce n’est pas désagréable. Mais je privilégie les radios et télé locales, qui misent sur la qualité, la découverte quel que soit le nombre de téléspectateurs. C’est sur ce genre de médias comme dans les petites salles, qu’on peut découvrir des artistes qui font qu’on n’est pas tout à fait pareil après qu’avant.
Penses-tu que ton public n’est pas tout à fait pareil après qu’avant ?
C’est ce qu’on aimerait tous. Mais les chanteurs sont un peu curé et pute à la fois, comme dit Ricet Barrier. On essaie de convaincre, prêcher la bonne parole, mais on doit aussi se vendre.
Pour conclure l'interview, nous allons te soumettre un petit questionnaire emprunté à Bernard Pivot…
Quelle est ton expression d’argot préférée ?

Ma sœur a une expression assez fleurie que j’aime bien : « on a pas le cul sorti des ronces ».
L’expression que tu n’aimes pas ?
« On n’a pas le choix ». On a toujours le choix.
Quel est le métier que tu aurais pu faire, si tu n’avais pas été musicien ?
Celui que j’ai déjà fait, éducateur spécialisé. Sinon… trapéziste ou conducteur de métro.
Celui que tu n’aurais pas pu faire ?
Un métier qui implique trop de compromission. Même si plus j’avance, plus je me rends compte qu’il y en a aussi dans la musique.
Quelle est la personnalité que tu aurais aimé être ?
Pierre Desproges.
Celle que tu n’aurais pas pu être ?
Comment être original, il y en a tellement ! C’est une question vicieuse. Les salauds qu’a connus la terre sont tous des êtres humains. Donc on est tous potentiellement des salauds. L’essentiel est de toujours se poser la question : « qu’est ce qui fait que je ne deviendrai pas ça ? » Certains l’ont été, donc je peux l’être, alors je me méfie assez de moi-même pour pas le devenir.
Si tu arrives aux portes du paradis, et que Dieu existe, que lui dirais-tu ?
Salaud.
Propos recueillis par Marie Charrel
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