Catherine Robert
Nicolas Bacchus – La verVe et la joie (chronique album)
La couverture du Nouvel Observateur de cette semaine titre sur les "droits des homos" en fait de "mariage, adoption, succession". La France est en retard sur ces questions, affirme l’hebdomadaire. Mais que l’orthodoxie bourgeoise se rassure : les homosexuels aspirent à rentrer dans le rang de ses valeurs, ils revendiquent de contracter sous les auspices menteuses de l’exclusivité sexuelle, ils veulent reproduire l’espèce et transmettre leur petit capital ! Ouf ! Si la marge rêve ainsi de n’être plus ostracisée en prouvant qu’elle veut vivre comme ceux qui la regardent de travers, force est d’admettre que ceux qui résistent encore sont de dangereux terroristes dont il faut se méfier…
Nicolas Bacchus, militant impénitent d’une sexualité libertaire qui dresse le poing et la queue contre les bien-pensants, affirme, envers et contre tout, que "les mariages, ça me tue" (Trouble ode), qu’il est plaisant de "se faire mettre partout" (Sanson du bizoutier), que "l’unique" est plusieurs, qu’il n’y a pas de honte à vouloir faire l’amour à trois (Les Uniques) et qu’il n’est pas indispensable, quand on a un amant, d’adopter sa mère (Ta mère)… Autant dire qu’il va à contre-courant de l’époque et que ses chansons iconoclastes ne cadrent pas avec cette normalité sociétale qui pose comme absolu la médiocrité confortable de la famille et de la propriété…
Travail, famille et patrie : la triade capitoline est indéboulonnable ! Mais Nicolas Bacchus s’en fout et éclate d’un grand rire insolent dans son nouvel album, La Verve et la Joie, dont les amateurs de calembours goûteront sans doute la contrepèterie… Il est question dans cet album de verges joyeuses, de plaisir sexuel et "Des choses dont la morale publique / (Qui ferait mieux d’en avoir moins, je crois) / S’emporterait, brandissant l’eau bénite / Si elle savait ce qu’on peut faire à trois"… Bacchus le rappelle d’ailleurs d’une pirouette humoristique à qui a renoncé à l’extase par le cul : la pesante graisse guette l’abstinent et "qui n’ose pas s’ébattre / N’aura plus qu’à s’empâter"… Mais il est également question de politique dans cet album, et sur ce thème-là, Bacchus fustige ceux qui s’accrochent à la rassurante identité d’une nationalité xénophobe. Les Gens de mon pays (paroles et musique de Thomas Pitiot) sonne comme une alarme et dénonce "l’étendard sanglant" sous lequel défilent les cafards haineux du racisme ordinaire. Quant à Identité nationale, Bacchus y entonne, avec Patrick Font, Agnès Bihl et Sarcloret, un hymne au deuxième degré sur la fierté alcoolique et chauvine du Gaulois au "rictus de franchouillard".
Bacchus continue donc, avec cet album et les concerts où il interprètera ses nouvelles chansons, à tirer à feu nourri sur les coincés, les bégueules et les imbéciles, et à affirmer avec provocation sa pédérastie tranquillement assumée, sans étendard ni drapeau. Cependant, cet anarchisme joyeux se fait un peu plus grave que dans les précédents albums, un peu moins potache, un peu plus tendre aussi. Tendresse pour les "mignons" qu’on croque au sel, tendresse dans Derrière l’embarcadère qui promet un crépuscule apaisé à celui qui saura rester, tendresse aussi pour la "cousine" Anne Sylvestre et pour le formidable Bernard Dimey dont Bacchus reprend La Pierrette à Pigalle. Nicolas Bacchus a des amis très fréquentables et la famille symbolique des Enfants de Louxor et de Lazare et Cécile en vaut bien d’autres ! Bacchus invite d’ailleurs nombre de talents naissants ou confirmés à chanter avec lui, et s’empare de leurs textes pour composer cet album qui fleure bon, et tout ensemble, la sérénité et la colère. La voix est nette et bien posée, l’interprétation est soutenue par une orchestration soignée et le bonhomme poursuit son chemin en chansons avec la fière liberté qui le caractérise depuis ses débuts.
Catherine Robert