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Nicolas Bacchus, de l’impertinence à la pertinence…
Souvent appelé le « sale gosse de la chanson », à cause du poil à gratter qui ponctue ses phrases, cet impénitent impertinent vous emmène de tendresse en citoyenneté, d’amour en gaieté, d’écorchures en dérision pour un voyage bénéfique d’où l’on peut sortir avec le joyeux vertige de pouvoir changer quelque chose au monde qui nous entoure !
Aussi à l’aise dans les bars, dans les petites et grandes salles qu’en première partie de Juliette, Bénabar ou Delerm, Nicolas Bacchus sait allier humour, poésie revendications dans ses chansons, ses baratins, ses imitations et parodies bref, son spectacle est drôle, tendre et bien ficelé.
- En écoutant beaucoup de chansons quand j’étais petit parce que ma famille, c’était ça : Brassens, Renaud, Font et Val au biberon. On avait des parents profs, on partait en vacances en voiture assez régulièrement et avec trois mômes à l’arrière, la chanson, ça occupe ! Beaucoup de choses tournaient autour de la musique quand on était petits, après, formation classique, puis en tournant dans les bars, avec mon frère à la trompette, on a appris un peu tout seul l’accompagnement. Ensuite, ça a été les chansons des autres : Renaud, Souchon, Font et Val, Brassens, Brel et petit à petit, les chansons des autres n’ont plus suffi, les miennes se sont intégrées et quand il y en a eu assez, que j’ai quitté mon boulot d’éducateur spécialisé pour ne faire que de la musique, j’ai essayé de présenter des choses plus personnelles.
Ensuite il y a eu Toulouse…
Mon frère est resté en Auvergne et je suis parti à Toulouse. J’ai d’abord travaillé seul puis avec quelques musiciens en studio pour le premier album (Coupe d’Immondes…) ensuite j’ai continué tout seul et depuis le deuxième album en public (Nicolas Bacchus : « Balades pour enfants louches »), j’ai poursuivi avec une partie des musiciens qui m’avaient accompagné pour le disque, depuis 2002.
Toulouse, par hasard ?
Je venais d’une petite ville d’Auvergne, je voulais du sud parce que plus il fait chaud, mieux je suis. Une grande ville, parce que j’avais envie de ça. J’ai rencontré des gens qui tenaient une ferme équestre dans la région et comme je me suis toujours débrouillé pour faire des sports de bourgeois en ne dépensant pas, j’ai habité cette ferme et je m’occupais des chevaux. Je faisais surtout des trucs d’abrutis : de la voltige, du horse ball (entre le rugby et le basket mais à cheval) des trucs pas vraiment dangereux mais qui font de l’effet. J’ai toujours été passionné par le cirque, depuis que je suis tout petit, en plus, je voulais être trapeziste (le côté virevoltant, on va dire…), j’ai gardé le trapèze et la voltige en me mettant en danger...
Dans ton spectacle il y a toujours une place pour les chansons des autres, des textes choisis avec soin et pas forcément les plus connus !
C’est à force d’écouter des chansons, l’un fait connaître l’autre et à force de s’y intéresser, d’aller aux concerts… Heureusement que l’on en connaît un peu plus que les quatre ou cinq qu’on donne en pâture au grand public quoi ! ça permet de faire son petit travail de transmetteur… C’est facile de choisir les meilleurs quand on fait de la reprise, alors que quand on fait les siennes on en écrit beaucoup moins que ce qui existe déjà et c’est beaucoup moins facile de ne choisir que le haut du panier. On tient quelquefois bêtement à des choses qu’on a écrites et qui ne sont pas… sublimes ! ça vient d’un truc ou d’un autre et puis après c’est la distance qu’il faut apprendre entre ce à quoi l’on tient et ce qui est transmissible et partageable avec les gens.
La mise en scène, c’est toi ?
Jusque-là, oui, c’est aussi de l’apprentissage de tous les gens que j’ai vu et apprécié, ce ne sont pas des gens qui font un enchaînement de chansons sur scène et juste leur disque debout. Que ce soit Font et Val quand j’étais petit, Renaud ou maintenant, Juliette il y a vraiment tout un travail de mise en valeur, même sur les décors, (je n’en suis pas là), sur les liens entre les chansons. Faire entrer les gens dans une bulle, dans une ambiance et les lâcher à la sortie, au bout de deux heures, sans qu’ils se soient échappés dans la nature. J’ai appris ça en regardant les autres, voir plusieurs fois un spectacle qui me plait, voir ce qui est improvisé, ce qui bouge d’un spectacle à l’autre. Et souvent on s’aperçoit que ce qui paraît le plus improvisé est ce qui est le plus écrit, le plus travaillé et ce qui paraît assuré, disparait d’un spectacle à l’autre, ou bien l’ordre des chansons… La fragilité d’un spectacle c’est aussi une chanson qui a sa place et puis une corde saute, on décale et ça bousille toute la série de 4 ou 5 chansons autour parce que dans cet ordre-là, ça ne passe pas ! il faut être attentif à cela, mais il n’y a pas de regard extérieur, ou de mise en scène extérieure.
Une corde qui saute, ou un autre « incident », c’est déstabilisant non ?
La leçon de Font et Val, mais surtout de Patrick Font, la bête de scène incarnée, m’a fait comprendre que des gens qui étaient bien sur scène ne faisaient jamais « malgré » quelque chose mais toujours « avec ». Les gens sont là pour du spectacle, même s’il n’y a plus de courant, même si tout s’éteint, si on fait le spectacle avec ça, on peut faire le spectacle encore mieux. J’ai vu Juliette à La Rochelle, aux Francofolies, un projecteur a explosé au-dessus de sa tête, il y avait du verre pilé sur toute la scène, ensuite, son micro s’est mis à déconner… C’est un des meilleurs concerts de Juliette que j’ai vu (sur 15 ou 20) parce que elle aussi fera le spectacle, quoi qu’il arrive et jamais « malgré » une difficulté. On s’en sert pour rajouter quelque chose au spectacle.
Sur ton site www.nicolas-bacchus.com, à la page « concerts » le nombre y est impressionnant, tu as beaucoup tourné... et partout ?
Tout est relatif, dans la mesure où mon répertoire n’est pas super consensuel, ni dans le chant, ni dans la forme, beaucoup de gens ont du mal, soit dans le côté politique, soit dans le côté homosexuel soit dans le côté « parler entre les chansons ». On ne sait pas trop si c’est de la chanson, du sketch, du théâtre. Ce qui est bizarre c’est que ce soit un de ces thèmes qui bloque et celui que ça bloque ne voit plus que ça ! Le programmateur qui me dit : « je ne peux pas prendre, c’est trop politique tu parles tout le temps de politique » ne va pas voir qu’il y a aussi des chansons plus poétiques, des chansons d’amour ou plus de baratin ou des chansons homo… Celui qui va dire « y en a marre des histoires de pédé » ne va pas dire qu’il y a aussi de la politique. Je trouve que les gens qui me disent que je suis obnubilé par un thème ne me montrent qu’une chose : ce sont eux qui sont obnubilés par ce thème. Objectivement, dans le spectacle, il y a 3 chansons ouvertement homo, 3 chansons très politiques. Le reste est beaucoup plus varié et il est plus simple de prendre le personnage en entier, comme il est : homo, militant et fragile ou bien touché par les chansons d’amour et par la grosse rigolade à jeux de mots, par de la parodie ou des imitations… donc, je ne passe pas, je n’écume pas tous les festivals et les salles, c’est en général assez choisi. Souvent, j’entends « ce n’est pas à moi que ça ne plaît pas, mais comment voulez-vous toucher un public avec ça ? » Quand c’est en face du public et bien ça marche et les gens acceptent le spectacle dans sa diversité, comme il est ; pas en se bloquant sur un thème !
Tu évoques l’engagement dans les chansons, beaucoup de gens disent que les vérités sont faciles à prêcher, mais qu’est-ce que ça change ?
Ça change tout ! parce que dans les endroits où l’on empêche les gens de les chanter ces vérités, ça ne se passe pas du tout pareil ! C’est facile, effectivement, mais ce qui est encore plus facile c’est de ne pas les chanter et de ne pas aller voir ceux qui les chante et ensuite revendiquer est une chose mais ça veut dire aussi agir dans sa vie en conformité avec les idées que l’on défend, normalement ça ne sert pas à rien. C’est un des sujets qui m’énerve vite. C’est au moins essayer de faire quelque chose avec les moyens que j’ai. Quelqu’un qui a les moyens financiers va investir dans telle ou telle cause à défendre, quelqu’un qui a les moyens artistiques, j’estime que au moins il peut le faire. Le seul moyen de se planter c’est d’essayer, celui qui n’essaie pas ne risque rien.
Et le public peut réagir ?
Dans les bars, par exemple, il y a une constante : tu es toujours entre le consommateur et les chiottes, il y a un mouvement incessant, quoi qu’il arrive et ça, dans tous les bistrots, on fait à côté des chiottes ... Il se passe toujours quelque chose dans ces trucs-là, surtout à Toulouse où le public est particulièrement expansif et ne te laisse pas dire n’importe quoi entre les chansons. Si je fais des baratins, c’est pas juste pour prêcher la bonne parole ou faire le moralisateur. A Toulouse, il ne m’est jamais arrivé de faire un concert entier et de parler entre les chansons sans qu’on me réponde et que j’essaie justement de rebondir là-dessus. Les gens qui me reprochent de prêcher la bonne parole et d’être pontifiant, c’est juste qu’ils n’osent pas l’ouvrir, moi, je n’attends que ça, pouvoir répondre. Bon, il ne faut pas exagérer, je suis là pour faire du spectacle, je suis dans une position de force par rapport à quelqu’un qui répond, noyé dans une masse, dans le noir alors que moi je suis tout seul en face avec du son de la lumière, quelles que soient les réponses, ça permet peut-être de faire avancer un peu. Mais je suis quand même là pour avoir le dessus, le dessus côté spectacle pas forcément côté argumentaire, je peux aussi m’écraser d’une manière élégante et que ça fasse du spectacle même si je dis que j’ai tort par exemple. L’auto dérision fait aussi largement partie du spectacle.
Le but est de faire accepter aux gens qu’ils en entendent un petit peu plus que s’ils n’étaient pas venus. Ce n’est pas de jouer devant un public acquis, où il n’y a plus grand chose à leur dire ni de braquer les gens qui sont, à priori, opposés à ce que tu dis, en les laissant sur leurs positions en se disant « qu’est-ce que c’est que ce petit con qui vient m’emmerder avec ses leçons de morale ? ». C’est pour ça que faire rire les gens c’est quand même une grosse arme, entrer sur scène avec des choses un peu plus anodines, un peu plus sympas, c’est mettre un peu les gens dans une complicité pour pouvoir leur montrer des choses auxquelles ils ne s’attendaient peut-être pas. Si je joue en milieu militant, là je vais essayer d’aller un peu plus loin. Ça ne sert à rien de prendre des pincettes, et puis il y a tant de choses à contester aussi chez les contestataires, le petit conformisme des anticonformistes prête le flanc à pas mal de rigolades…
Qu’est-ce qui les choque le plus ?
C’est que les gens soient renfermés sur leurs petits problèmes uniques et que l’on ne voit qu’à travers ça ce que je peux faire. C’est très difficile de donner une idée globale de ce que l’on fait à des gens qui sont barrés dans un trip ou un autre et qui sont crispés sur le refus de tels forme ou fond de ce que l’on a à dire. Je sais que ce n’était pas la question mais c’est ce qui me choque le plus. Ce qui est malheureux c’est de ne pas pouvoir faire sortir les gens de leur mode de pensée univoque habituel et leur proposer d’autres choses, d’autres discours.
Les gens qui s’intéressent à ce que tu fais sont toujours les mêmes, c’est la même pensée générale non ?
Ben non, il y a un peu de tout et le fait de faire des 1ères parties, des festivals, des endroits où les gens sont d’un milieu pas forcément habitué au spectacle vivant, à la chanson fait qu’on s’aperçoit que ça passe aussi, ce ne sont pas des gens qui ne demandent que ça, c’est montrer aux gens que ça existe mais qu’il faut chercher les artistes moins connus, ils ne vont pas tomber tout cuit dans leur radio ou leur télé, ça les intéresse aussi.
Existe-t-il un public « idéal » ?
Ce qui est bien, le mélange parfait, c’est d’avoir des gens qui connaissent un peu ce que tu fais et qui réagissent, qui lancent des trucs là où il faut. Une partie du public complètement naïve qui réagit aux blagues auxquelles les habitués ne réagissent plus à force de les avoir entendues et une partie de gens pas forcément du même milieu, des mêmes obédiences… Côté spectacle vivant un petit peu « rentre dedans » comme ça, c’est bien ! En bistrot, c’est super dur un public où il n’y a personne qui connaît, pour aller les chercher, les convaincre… on n’est pas dans les meilleures conditions pour montrer ce que l’on sait faire…
Et quand tu fais des premières parties, comment es-tu accueilli ?
En général ça c’est bien même si le public n’est pas là pour moi, il attend Bénabar Delerm, Juliette ou d’autres, justement il y a une tête d’affiche ou quelqu’un un peu plus loin que moi et ça veut dire que les gens sont là dans de bonnes conditions d’écoute, même si ce n’est pas pour moi et je peux leur présenter quelque chose de propre et bien rodé en plus, j’ai de la chance, je fais des choses qui sont restées « rentre dedans » et qui, en une demie heure, peuvent conquérir. Le fait de raccourcir ne nuit pas forcément, contrairement à d’autres artistes qui ont un univers plus délicat et qui mettent plus longtemps à se poser, à s’imposer, qui emmènent les gens tout doucement dans leur monde et qui ont plus de mal à convaincre en une demi-heure. C’est adapté à ce que je fais, le côté café-théâtre fonctionne bien même si c’est un peu frustrant parce que j’aurais plus de trucs à dire, mais au moins ça donne envie aux gens, et si ça plait, comme à Bouguenais (à côté de Nantes) l’année d’après on me fait revenir et c’est moi qui choisis une première partie. Ça sert à ça quand même, faire les premières parties dans un endroit pour tester et puis revenir montrer ce que l’on sait faire.
En exclusivité pour cecicela, une citation lui revient en mémoire, qui aurait cru que Ronsard hanterait une terrasse de café à Paris, au mois d’août ?
...coquin de Ronsard :
« "Heureux qui, connaissant les plaisirs de la terre
Baisant un petit cul, buvant dans un grand verre
Emplit l’un, vide l’autre, et passe avec gaîté
Du cul de la bouteille au cul de la beauté."
elle est pas belle ? sacré Ronsard !
Ceci dit, les sources sont assez floues : souvent attribué à Ronsard, il est aussi parfois cité comme venant de Verlaine, ou encore d’un anonyme du XVIII ème siècle...
Notre Invité en 5 questions
Ta plus grande passion ?
un peu tout la chanson, la vie surtout... Ce qui me passionne dans la vie c’est d’être passionné par la vie
Ta dernière grande émotion ?
Une émotion de spectacle : c’est Richard Desjardin, chanteur québécois, sur scène un piano une guitare ; alors qu’il a un accent à couper au couteau et qu’on ne comprend pas tout ce qu’il dit (pourtant c’est passionant quand on relit les textes après), et qui arrive à te clouer au fond du fauteuil avec une voix rauque et ses dix doigts sur ses pauvres instruments c’est dépouillé au possible avec un projecteur qui lui tombe dessus, et là c’est de l’émotion à l’état pur.
Ta plus grande aversion ?
Ce qui me tue en ce moment, c’est cette logique qu’on essaie d’inculquer partout : que ce soit dans l’éducation, le sport, bon, évidemment le domaine le plus évident c’est le sport, mais dans tous les autres domaines, c’est cette logique du gagnant/perdant : pour que je me sente gagnant, il faut qu’il y ait un perdant. Et si quelqu’un gagne à côté de moi, j’ai l’impression de perdre. C’est un des chevaux de bataille d’Albert Jacquart. Il existe d’autres modes de pensée, il y a des logiques de gagnant/gagnant et moi je ne me retrouve pas dans cette societé là qui est de plus en plus gagnant/perdant parce je n’arrive pas à me sentir gagnant quand quelqu’un perd à côté de moi. Et on est quelques uns comme ça, ce n’est pas pour se mettre en avant, mais on vit plus heureux quand celui d’à côté gagne aussi et je suis persuadé qu’on gagne ensemble et qu’on gagne du bonheur, c’est très égoïste aussi hein parce que c’est pour gagner mon bonheur que j’exige celui des autres ! Voilà un grand sujet qui me préoccupe en ce moment.
Une cause que tu aimerais défendre ?
Une cause perdue
Ce qui te manque le plus ?
Un amoureux !
Propos recueillis par Simone REDON pour
Ceci Cela