Modes d'Emploi

Nicolas Bacchus : la gravité jubilatoire

Modes d'Emploi - Le 1 juillet 2011

Nicolas est bien représentatif de cette nouvelle scène française. Nouvelle ? Pas vraiment. De Georges Brassens à Renaud, d'Anne Sylvestre à François Béranger ou bien encore Léo Ferré et Boris Vian, la veine libertaire ne s'est jamais tarie. Elle vit de plus belle, en ce début de 21ème siècle. Par opposition à la chanson dite « de variété », et son long cortège de belles voix braillant des vers insipides, sacrifiées sur l'autel de la rentabilité, les artistes de cette scène vivante, remplissent des salles moyennes ou petites, ou bien encore, se produisent dans ces cafés-concert qui se multiplient, leur permettant, contre vents et marées, de rencontrer leur public.
C'est dans l'un de ces bars, resto, salle de concert, le 25ème degré Est*, à Paris  que nous avons rencontré Nicolas Bacchus, en exclusivité pour les lecteurs de Modes d'Emplois. Un entretien au fil de l'eau du canal de l'Ourcq...

D'où viens-tu Nicolas ?

« J'habite Aubervilliers. Je suis né à Vichy – nul n'est parfait, ndlr. À l'origine, je suis éducateur spécialisé. Attention, hein, pas pour faire le garde-chiourme ! Travailler avec des mômes, avec un vrai projet de vie. J'ai vécu de belles expériences professionnelles, à Villefranche de Rouergue et Toulouse. C'est dans cette ville que je suis passé progressivement à la musique. Je chantais sur les marchés, dans les rues dans les troquets. Ça payait la bouffe et le loyer. »

Toulouse est une grande ville, universitaire. Le public de Nicolas a migré dans toute la France : « j'ai des amateurs partout dans le pays. »

Nicolas est auteur, compositeur, interprète et producteur. « J'ai commencé par la guitare classique, au conservatoire, puis j'ai piqué des techniques à d'autres formes de musique, ce qui explique mon style un peu particulier. »

Engagé ?

« Le terme a été galvaudé. Je suis concerné par la société qui m'entoure. Je suis engagé, pas encarté. Bénabar, par exemple, est engagé, comme aux côtés des sans-papiers. Mais c'est l'homme qui est engagé, plutôt que l'artiste. Que l'on vende 5000 ou 50,000 albums, on peut-être engagé. »

Nicolas et bien d'autres passent peu à la radio ou à la télé. Une nouvelle censure ? « Je ne crois pas, nous répond Nicolas. Bien sûr, je milite contre le retour des idées réactionnaires et la droite décomplexée, je suis un anar écolo. Mais de censure, non. L'offre artistique est pléthorique par rapport à celle des années 70/80. C'est difficile pour tout le monde. Je ne suis pas blacklisté, je passe dans les radios locales. Mais sur les grands réseaux, comme NRJ, Skyrock, je ne passe pas. »

Et le spectacle vivant ? « Il arrive que l'on me dise que ce que je fais, c'est bien, mais que le public ne serait pas prêt... Et ceux qui me disent ça le font avec les meilleurs sentiments du monde. » Homo et libertaire, c'est un peu trop ?

Le petit âne gris

Qui ne connaît cette chanson de Hugues Aufray ? Nicolas en fait une parodie hilarante, convoquant, à tour de rôle, Aznavour, Barbara, Cabrel, le groupe Queen, excusez du peu ! Les aficionados hurlent de rire et en redemandent jusqu'à plus soif... Puis on passe, sans transition, à l'émotion la plus pure, avec les chansons d'une tendre poésie provocatrice comme : « Ton fils (… dort avec moi) » et « Fontaine (je boirai de ton eau) ». Entre deux chansons, Bacchus nous la joue chansonnier, commentant l'actualité et peignant, férocement, les néo-conservatismes d'où qu'ils viennent. Là encore, le public se gondole copieusement. Jeux de mots laids et autres calembours bons ne font pas peur à l'artiste, qui enchaîne sur des textes plus engagés, comme « Total, Danone, bonnes causes, et mauvaises raisons », où il fustige le « charity-buisness » et la bien pensance. Nicolas possède une voix exceptionnelle, d'une large tessiture, aussi à l'aise dans l'ironie, la dérision que dans les textes  de la plus belle eau poétique.

Des influences ?

« Bien sûr ! Brassens, en premier. Puis Boby Lapointe, Renaud, Font & Val, Souchon. Uniquement de la chanson française. J'e n'écoutais pratiquement pas de rock ou de pop, en dehors de Dire Straits et aussi Simon & Garfunkel, que j'aime vraiment, mais ça ne joue pas dans mes sources d'inspiration. Et puis, surtout, je travaille avec d'autres, Patrick Font, Anne Sylvestre, Manu Galure, par exemple. Je produis aussi d'autres artistes, comme Lucas Rocher. Sur mon dernier album, ils y figurent tous, avec Agnès Bihl, Sarclo ou Thomas Pitiot. »

Hadopi ?

C'est la loi votée l'année dernière, qui, selon ses promoteurs doit mettre fin aux agissements des « pirates ». « Ceux qui gueulent le plus fort sont ceux qui nous ont exploités : les majors. Ils envoient les petits pour protester ! » Un peu comme les gros céréaliers de la FNSEA, bourrés de fric, qui envoient les petits paysans, ceux qui souffrent vraiment, déverser du fumier aux grilles des sous-préfectures... « Oui, il faut que les artistes soient rétribués, mais Hadopi, c'est quand même le flicage généralisé. Le vrai pirate, c'est celui qui fait du fric avec des oeuvres qu'il n'a pas payé. Mais il y a du progrès quand-même. Des sites comme Deezer, par exemple, doivent désormais payer des droits, comme la télé, les radios ou bien encore  les troquets qui passent de la musique. »

L'amour ?

Pendant l'interview, Nicolas hèle un très joli garçon : « On en fait encore des comme toi ? Ne te formalise pas, hein ! C'est un compliment que je te fais ! » Le jeune homme sourit, étonné et complice, secrètement flatté. Dans ses chansons ou bien dans ses sketches chansonniers, c'est un amour et une sexualité jubilatoires que prône Nicolas Bacchus. Sans fausses pudeurs, avec une délicatesse égrillarde. Hétéro, homo ? Pas d'importance. Si l'amour n'ignore pas les sexes, il méprise les genres. Le grand Brassens s'y reconnaîtrait, lui qui n'aimait pas que l'on mette l'amour en cases.

Nicolas finit de siroter son jus de fruit, pendant que je termine ma bière. Une petite séance photo, un salut amical, puis, il reprend son Vélib et quitte les bords du canal de l'Ourcq.

Nicolas Bacchus vient de sortir son quatrième album : « La Verve et la Joie ». Humour, amour, poésie et émotion garantis avec cet opus dont « les rimes sont tellement riches qu'elle menacent de s'installer en Suisse » comme le dernier tennisman commercial de chez Kinder Bueno. Alors, plutôt que de vous infliger les décibels énervés d'une quelconque hurleuse québécoise ou de l'exilé fiscal patagonien, offrez-vous donc La Verve et la Joie. Et puis, tant qu'à faire, raflez donc les 3 précédents : À Table, Balades pour enfants louches etCoupes d'immondes. Produits labellisés Modes d'Emplois, puisqu'on vous le dit !

Claude Cherblanc pour
Modes d'Emploi (journal interne de la FSU Pôle Emploi)

* www.25est.com

 
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