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Interview de Nicolas Bacchus

Têtu.com - Le 11 août 2012

Nicolas Bacchus: «Tous les chanteurs parlent de sexe… moi c'est avec des mecs»

Par Jérôme Pasanau, samedi 11 août 2012

INTERVIEW. Chanteur ouvertement gay, artiste engagé, Nicolas Bacchus séduit depuis quatorze ans un public fidèle avec ses jeux de mots, ses histoires de cul, sa gouaille inimitable.

Histoires de cul et de cœur, coups de gueules, voilà déjà quatorze ans que Nicolas Bacchus chante l'amour gay dans tous les cafés-théâtres de France. Sale pédé, Ton fils (...dort avec moi), Dans les saunas, l’artiste toulousain n'y va pas par quatre chemins. Il se livre avec passion, adore titiller son public, le provoquer un peu avec un bon mot. Un an après après avoir sorti un quatrième opus brillant, parfaite synthèse de sa carrière, La verVe et la Joie, ce libertin libertaire publie son deuxième album live, Devant tout le monde. L’occasion de retrouver l’ambiance unique de ses concerts. Rencontre avec un grand séducteur.

TÊTU: En quelques mots, pour les lecteurs qui ne te connaissent pas encore, comment te présenterais-tu?
Nicolas Bacchus:
Je suis un chanteur né en Auvergne et taxé de Toulousain parce que ça fait plus joli dans les interviews (et que j'ai fait mes deux premiers albums à Toulouse avec des musiciens et invités de là-bas). Je fais dans la «chanson qui touche les bords» et on ne parle pas de moi dans Télérama, pourtant il y a du cul, de la politique, de la poésie, et des baratins entre les chansons en concert pour faire passer tout ça. J'ai même été un chanteur trentenaire comme on aime, mais là c'est trop tard, j'ai passé 40. Pour la phrase suivante, y'en a pour tous les goûts: – J'ai cinq albums à mon actif et – J'ai un passif de cinq albums. Sinon, je fais moins de chansons homos qu'Aznavour n'en a fait d'hétéros, mais je sais pas pourquoi, on dirait que ça se voit plus.

Ce cinquième opus est la captation d'un concert. Et en concerts, justement, tu t'y connais. Tu te produis dans la France entière, souvent dans de petites salles ou dans des bars. C'est pour créer une relation de proximité avec ton public? Ou simplement pour te faire payer des coups à boire et draguer?
C'est surtout parce que c'est là qu'on veut bien de moi! Sinon, je propose le concert partout, mais beaucoup d'institutionnels sont frileux et trouvent toujours qu'on est trop ci ou pas assez ça (politique, bavard… rarement pédé, parce que ça se dit pas, mais parfois on voit bien que c'est ça). En gros pour eux c'est bien, ils aiment, mais «leur» public est pas prêt, ou leur mairie, leur diocèse, leur… n'aimerait pas. L'évolution est marrante, d'ailleurs, avant c'était «le» public «de» tel ou tel chanteur (déjà c'est presque abusif), maintenant c'est le public du programmateur. En gros, c'est comme si j'étais dangereux, alors que bon, ça se passe quand même plutôt bien quand quelqu'un, dont c'est quand même le boulot, prend le «risque» (quel risque?) de me placer en face d'un public. Après c'est le mien, de boulot, de faire que ça se passe bien, que les gens en entendent un peu plus que si je n'étais pas venu, repartent contents… et en achetant des disques si possible!

Ensuite, pour l'autre partie de la question, je bois très peu et je drague beaucoup, et partout, pas que là, donc je draguerais aussi volontiers dans d'autres salles!

Tu as un style plutôt atypique, plutôt «chanteur de rue» ou chansonnier et plutôt à contre-courant de la mode musicale actuelle. Et pourtant, tu as un public fidèle qui te suit. Comment l'expliques-tu?
On a tous, à tous niveaux, des «fidèles» qui nous suivent, mais je pense que les indépendants (on est quelques-uns dans ces niches) suscitent plus cette fidélité justement, le public qui aime ce genre de chansons semble moins volatile que d'autres. On pourrait dire qu'on touche peut-être moins de monde à la fois, mais que ceux qu'on touche sont plus touchés. Qu'on plaît à moins de gens mais plus profondément. Le fait de faire des chansons peut-être plus dures, sans concessions, provocatrices, intimes, etc., d'être entier dans des prises de position, peut exclure certains, mais ceux qui s'y reconnaissent s'y sentent bien. On essaie que ce ne soit pas «moyen», qu'on aime pas «bien» ou un peu. J'aime bien dire que si quelqu'un aime ce que je fais, je veux qu'il sache vraiment pourquoi, et que si quelqu'un n'aime pas, je veux être sûr de savoir pourquoi (et qu'il a raison!)

Ensuite, je ne suis pas sûr d'être à contre courant de LA mode actuelle, il y a plusieurs modes, dont une assez en vogue pour la chanson en Français qui ne se dément pas trop, et qui compte quelques belles réussites, de Bénabar à Camille… Mais c'est vrai que ça fait moins «chansonnier», même si le circuit de départ était le même.

Sur scène, ton univers c'est la musique, mais aussi l'humour. Tes transitions entre les chansons semblent très travaillées, très bien écrites. Le one man show, c'est le prochain but que tu t'es fixé? Tes transitions, ce sont des réactions spontanées à l'actualité?
Le one man, pas vraiment, mais j'ai toujours fait attention à ce que le spectacle puisse vraiment être appelé spectacle. Les chanteurs qui refont juste leur disque en faisant payer des places de concert m'emmerdent, je suis mieux assis chez moi et j'ai une bonne chaîne, en général c'est mieux sonorisé. Et puis j'ai appris comme ça, c'est ça qui m'a donné envie: des gens comme Font et Val, Renaud de son vivant, Juliette, Bénabar ensuite, qui sont des bêtes de scène et apportent vraiment quelque chose en live, ont vraiment eu une influence dans ce côté bateleur que j'entretiens.

Pour ce qui m'est plus personnel, mes intermèdes politiques ou libertaires, ça commence souvent par une impro, une réaction spontanée, mais l'impro du jour devient la base écrite du lendemain, sur laquelle se greffe autre chose, et je construis comme ça la trame, les liens qui vont emmener de loin en loin les gens à me suivre de chanson en chanson, même à travers des styles ou ambiances très différents.

Tu es un chanteur engagé, tu as un franc-parler. Tu affiches également ouvertement que tu es gay. L'homosexualité justement, c'est un thème récurrent dans tes textes, pourquoi?
Comme je l'ai déjà dit, je ne pense pas que l'homosexualité soit plus un thème récurrent dans mes chansons que l'hétérosexualité dans les chansons de mes collègues hétéros. Les relations sentimentales et le sexe sont récurrents dans la chanson en général, et moi il se trouve que c'est avec des mecs, et que je suis chanteur quand même, rien de plus que le hasard. Bon, je dis ça faussement innocent, je sais bien que ça se remarque plus, mais c'est aussi ce que je veux faire passer: tant qu'on verra les chansons hétéros comme des chansons d'amour et les chansons homos comme… juste des chansons d'homos, c'est qu'il y aura encore du boulot, et je compte bien en faire une partie, y apporter ma petite pierre.

Ton public d'ailleurs n'est pas forcément homo, comment expliques-tu cela?
Trois réponses possibles:
1 – Parce que je plais aussi aux vieilles institutrices soixante-huitardes.
2 – Le public de Jean Ferrat d'ailleurs n'est pas forcément hétéro, comment expliques-tu cela? Quand je fais une chanson sur les sans-papiers, je ne m'attends pas à ce qu'il n'y ait que des sans-papiers dans le public, pourquoi en serait-il autrement avec les homos?
3 – En fait, j'ai toujours tenu à maintenir dans les chansons l'équilibre qui a permis aussi un équilibre dans le public. Ce qui me permets, à moi, de ne pas ronronner devant un public univoque et acquis: des militants politiques pour telle ou telle cause viennent me voir parce qu'une chanson les a touchés, des homos parce qu'une autre les a amusés, des amateurs de chanson à texte parce qu'une troisième les a émus, mais ils encaissent, chacun, les autres chansons. Et j'aime bien faire entendre à des militants des chansons un peu plus finies, écrites, que des slogans de manif, à des homos des prises de position un peu plus radicales que celles de Mylène Farmer (ce n'est qu'un exemple), et à des férus de poésie des histoires d'amour un peu différentes de celles qu'ils entendent d'habitude. Là encore, si j'arrive à faire entendre à ceux qui sont là un peu plus que ce qu'ils auraient spontanément écouté si je n'était pas venu, j'ai un peu gagné!

Quels sont tes prochains projets à venir? La suite de ta tournée?
Je rentre du festival d'Avignon off, ça fait quelques fois que j'y joue, c'est l'occasion de rencontrer une partie des gens qui nous programment au long de l'année, dans des endroits où on rencontrera encore d'autres gens qui nous programmeront ailleurs… Donc c'est reparti pour un tour, recherche de date et promotion du CD-DVD en public, qui est sorti en juin et reprend le spectacle actuel avec six musiciens, des invités (Anne Sylvestre, Agnès Bihl…), et dix ans de concerts, clips, photos, etc. dans les bonus.

D'autre part, je développe aussi Bacchanales Productions, la petite structure que j'ai montée après Kiui Prod (avec qui on a produit Manu Galure, Sarclo…), qui est surtout une boutique en ligne où je participe à la promotion et la production de chanteurs amis, pour la souscription ou la mise en vente (physique et Internet) de leurs albums. On peut tout écouter, et on trouve aussi quelques livres, le point commun étant un regard sur le monde décalé, provocateur, humoristique, poétique… en tout cas singulier.

Propos recueillis par Jérôme Pasanau pour
Têtu.com

 
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