L'Interdit #46

Bacchus : à la santé de l'inconvenance

L'Interdit #46 - Le 1 juillet 2000

C'est un petit article du Nova Mag de juin qui a attiré mon attention sur Bacchus : électron libre neo libertin écolo alternatif pédé affirmé, disque auto-produit et concerts en vue. Et le contact en prime.
L'article n'a traîné qu'un jour ou deux avant que je ne décroche mon téléphone pour affronter l'animal. Surprise : Bacchus, auvergnat implanté à Toulouse, commet la plupart de ses concerts a "l'infréquentable Bijou" ou se dépose l'Interdit. Les présentations en sont grandement facilitées. D'autant que Bacchus m'apprend avoir adapté mon texte "Vie Privée" paru ici l'automne dernier et le balancer sur scène en réponse aux abrutis qui l'agressent d'un "ta vie privée, on s'en fout". Mouais. Peut-être. Reste la pluie et le beau temps et puis les imaginaires amours d'été qui ont tant de mal à franchir le cap de l'automne. Au delà de ces deux sujets, tout le reste est privé ou politique et pour moi privé et politique c'est du pareil au même Pour Bacchus aussi. Et pour d'autres aussi, fort heureusement. Je pense par exemple à Gérard Verdier, syndicaliste CGC homo qui en moins de deux ans a gagné son procès pour discrimination syndicale parce qu'on voulait lui imposer le port du costume-cravate et a lancé une campagne contre l'homophobie dans l'entreprise. Libération a dressé son portrait le 8 juin dernier. Une représentante CGT d'Armand Thiery où Verdier est cadre y dit de lui "De tous les directeurs de magasin, il est le seul à l'ouvrir". Et la Direction du travail y avoue "II a imposé un vrai rapport de forces dans l'entreprise, tout en renouvelant le syndicalisme". Bigre, mais comment ? En portant des bracelets, en ouvrant sa gueule, en se clamant pédé et... en renonçant aux augmentations de salaire. En se déclarant (toujours dans le même Libé) "très à gauche, Act Up. Pour l'outing total (...) Je me bats tellement que cela frise le mysticisme. Aucune barrière entre ma vie privée et publique". Et en rappelant que "souplesse, flexibilité, liberté, ces exigences de l'économie sont aussi valables pour le personnel". Tout comme ces affirmations, valables dans l'entreprise, le sont également dans tous les domaines sans exception.
Le système social nous divise et nous oppose à coups de tabous, parce que personne ne veut parler de ses histoires de cul, de ses vexations et frustrations, de son état de santé ou de ce qu'il gagne par mois. Tout cela est censé être grossier, impudique, agressif, bref ça ne se fait pas. Dire la vérité sur soi et s'affirmer tel que l'on est représente ce qu'il y a de plus inconvenant, le scandale absolu. Il faut aussi feindre de ne pas connaître sur qui on écrit, sinon c'est du copinage. Je chie sur toutes ces fadaises, grossièreté en sus.
> Risque zéro
Je m'intéressais a Bacchus avant de savoir qu'il adaptait "Vie Privée" mais je pressentais déjà une manière commune de voir les choses. C'est cette manière commune de voir les choses qui me permet, à moi plus qu'à quiconque, de parler de lui. Parce que les autres ne s'y intéresseront pas ou pinceront leur nez ou ne comprendront rien à leur sujet. Alors assez d'hypocrisies, assez d'obéissance à des règles que l'on s'impose soi-même, assez de "règlements intérieurs" que l'on ne cesse d'irradier, de s'entre-inoculer. Aucune loi ne nous interdit de parler cul, fric ou santé. Cessons de patauger dans les tabous. Cessons de croire qu'on risque quelque chose à chaque fois qu'on respire un peu plus fort. Merde à la prudence, à la frilosité, au comme il faut, à la réserve, au bien dosé, au quant à soi, à la bonne mesure, aux yeux détournés, à la neutralité, à la gêne, à l'objectivité. Risque zéro ? Prenons le risque, laissons le zéro.
> On trinque ?
Nous bousillons nos vies publiques et privées à coups de peurs. Si vous saviez pourtant comme on se sent bien quand on en a dépassé une, même une seule, même une petite de rien du tout. L'allégresse, le bien être que ça donne d'avoir déployé un peu ses ailes même d'un centimètre, comme ça donne envie de continuer. De sautiller, d'éclater de rire, de sauter à un cou. Rien ne met en joie comme d'avoir bravé un interdit. Pas vrai Bacchus ? On trinque ? Tout ça, en fait, revient à dire que j'adore Bacchus et vous comprendrez pourquoi quand je vous aurai dressé le tableau.
> Secouer
Déjà le papelard de présentation : "Bacchus. Subversion politique et sexuelle en milieu urbain. Fin du XXème siècle." Ça continue par des déclarations telles que "L'essentiel, c'est de ne pas plaire à tout le monde". Et de le prouver en arborant (du jamais vu à ma connaissance) les mauvaises critiques comme autant de faits de gloire. Ainsi de La Dépêche-Villefranche de Rouergue : "La liberté d'expression a des limites". Commentaire de Bacchus : "Ouais, surtout à La Dépêche". Ou de la réaction de la MJC Toulouse Ancely : "Trop militant, je n'ai pas besoin de toucher ce genre de public". Commentaire : "Pas grave, ils viendront se faire toucher ailleurs". Mais que pleuvent les Bacchus sur notre planète ! Mais que mille Bacchus nous secouent! Le bougre chanta en son temps Brel, Font et Val, Brassens, Renaud ou Souchon. Aujourd'hui il est à mi chemin entre la chanson engagée à la Tachan et les râles sur fonds manouches de Mano Solo. Il s'illustra en 97 avec le spectacle "Nicolas et les boyz bandent'. Aujourd'hui il sort Coupe d'immondes...et autres réjouissances populaires, avec une adaptation de "Cayenne" de Jean Genet (écrit en 1939 à cette prison de Saint Brieuc qui échauffe tant les esprits...) et onze textes inédits, onze petits diamants, il faudrait tout citer, tenons nous en à "Coupe d'immondes" : "Pour m'rouler dans l'herbe/ Et courir après des garçons/ J'ai pas b'soin qu'ils soient millionnaires/ Ni qu'entre nous y'ait un ballon (...)/ Les clandés, sans papiers/Ont gagné d'autres billets/ Les yeux rivés sur le ballon/On voit pas passer les avions (...) Matoub Lounès, mais qui est-ce ?/ Josette, il joue où ce Lounès ?"
Qu'est-ce que vous voulez que j'ajoute à ça? Bacchus, t'es pas assez nombreux. Levons nos coupes à l'audace et à l'inconvenance.
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