Mon voisin est un ange...

  • Mon voisin est un ange...

    Le 25 septembre 2007
    …déguisé en voisin."

    J'ai souvent senti monter un sourire ou des larmes en croisant cette phrase taguée au mur d'une rue ou d'une gare souvent empruntée, mais que je ne situe plus dans la géographie physique. Le mur est très localisé pourtant, je le revois très bien : un point d'émotion dans ma géographie intérieure.

    En tout cas, ce matin, après le concert d'hier soir à l'Attirail, ça m'a traversé : "Mon public est un ange déguisé en public."

    Traversé, vraiment. Avec ce que ça suggère à la fois de la douleur de l'étripage et du plaisir de la pénétration. Traversé. Et aussi la béance, le vide, qui reste, après, quand c'est fini. Chaleureux encore, quand même, au bord, autour, de la palpitation de la chair à vif, du sang qui sourd. Qui fait qu'on se sent tellement vivant de la caresse ou du coup qu'il vient de pleuvoir, comme un hasard du temps qu'il fait.

    Traversé, comme une rue. Va savoir ce qui a changé de la rue, une fois qu'on l'a traversée. Dur à voir, faut qu'elle continue à faire bonne figure, à faire son boulot de rue, elle peut pas fondre, s'arrêter, d'un coup comme ça, stop, impasse. Mais ça a bien du lui faire quelque chose, on s'en sort pas comme ça, y'a bien toujours quelque pneu plus clouté, quelque semelle plus ferrée, quelque bulldozer plus chenillé que les autres, qui font que même, des fois, ça se voit. Pour le reste, c'est dedans je suppose. Traversé, voilà.

    "Mon public est un ange déguisé en public." Je vous sais pointilleux, attentifs autant qu'attentionnés, je l'ai encore vu hier soir, alors je vais préciser un peu (et digresser beaucoup sinon c'est plus moi) :

    Je dis "mon public" pour la forme de la phrase, le parallèle avec l'autre, la compréhension immédiate, première. Ne voyez pas dans "mon" un signe d'appropriation (quoique…), ni dans "public" un rabaissement ou du moins un nivellement du mélange de tous les amis, habitués plus ou moins anonymes, amants, relations, rencontres de hasard, revenus de loin ou revus de longtemps, qui se croisent dans les concerts et particulièrement hier. Ceux qui me connaissent ou connaissent ce que je fais savent ou peuvent deviner ma détestation de ces frontières sociales artificielles, qu'on voudrait nous faire passer pour inamovibles, hermétiques, voire même naturelles ou structurantes, et qui délimiteraient amis, amours, relations, travail, famille… (il n'en manque qu'une), dictant ce qu'on peut ou doit faire avec chacun. A quoi ça sert, sinon à nous limiter, à brider ce qu'on ressent, à nous mettre en décalage dès qu'un morceau de chair ou d'abat, ton cœur, ta tête ou ta bite, dépasse de la case qui lui était assignée ? En plus ça ne tient pas une seconde en face de la réalité :

    la vie c'est le hasard, l'intelligence c'est l'invention, l'amour c'est le bordel !

    Alors pas de comptes à rendre sur l'attirance que tu as pour ton pote, la distance avec une cousine, la tendresse pour un plan cul que tu appelles encore des années après pour son anniversaire et croises avec plaisir, la perte de vue de celui qui était tout pour toi, de celle qui t'aimait, et puis plus, qui t'était chère, et puis trop.

    Mais tout ça est un peu long à expliquer à chaque fois, alors la définition générique, la "case", simplifie, sert à ça d'ailleurs et devrait ne servir qu'à ça.

    "Mon public est un ange déguisé en public." Public, donc, parce que c'est la position dans laquelle par convention, accord tacite, vous étiez. Pour jouer à je ferais le chanteur et vous feriez le public, sans que ça enlève rien à ce qu'on est par ailleurs les uns pour les autres.

    Bon, pour l'"ange", on va pas y passer des heures, vous vous doutez bien que la référence n'a rien de biblique, mais encore une fois ça colle au voisin de la phrase du mur, et pour moi ce mot d'"ange" évoque plutôt la bienveillance souriante, attentive, presque inconditionnelle. A la fois aussi la douceur fragile qu'on peut prendre dans ses bras et l'épaule sur laquelle on peut faire étape au besoin. Et ça vous va bien.

    En tout cas puisqu'on a joué au concert, vous avez été des camarades de jeu rêvés, et j'ai pas l'impression que les uns comme les autres on ait beaucoup triché, en tout cas pas au delà de ce qu'il faut pour que ce soit quand même du spectacle.

    Depuis le début de ces mois noirs que je traverse en essayant de surnager, de ne pas tout lâcher, c'est la première fois que je recommence à penser à ce que je chante, à comment, à vous en face ; la première fois que je ressens ce qu'on a donné et reçu, honnêtement, les uns aux autres, les uns des autres.

    Alors merci, parce que malgré les yeux rouges sauf un au beurre noir, malgré les bras bleus démangés de plaques intempestives et qui avaient du mal à garder la guitare, malgré tout vous m'avez tenu debout pendant deux heures, pour un peu on se serait cru vivants.

    Merci parce que ça redonne envie, envie d'essayer, au moins. De rendre un peu de ça, d'aider aussi ceux d'en face, vous, à tenir debout, à l'occasion, avec ce que j'ai, le temps de quelques notes à partager, de quelques mots à tenir chaud, de quelques grossièretés pour se venger un peu de la vulgarité du temps.

    Voilà, merci pour tout ça, du fond, de la chair, vraiment.

    Si malgré tout j'abandonne quand même, ne vous reprochez rien.

    A bientôt.

    Nicolas

     
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